Alger : « Venez vous poser à Alger. »
Le D.C.3 : « Au nom de qui parlez-vous ? »
Alger : « Au nom du gouvernement français. »
Le D.C.3 : « Demandons précisions. »
Alger : « Au nom du gouvernement français, ordre de M. Lacoste, ministre de l'Algérie. »
Le D.C.3 : « Nous appartenons à une compagnie étrangère. Ces ordres ne nous concernent pas. »
Alger : « Il nous faut les fellouzes. »
l’équipage est piégé :
Dans le même temps, à Alger, on prend conscience que l'affaire est loin d'être gagnée. Car, à toutes les objurgations, le D.C.3, pour le moment, répond par le silence. Ce silence, il le rompt à 19 h. Il demande à Alger l'autorisation de retourner au Maroc. Réponse de Maison Blanche : « Venez Alger... Ordre gouvernement atterrir Alger... Répétons : ordre donné, ordre donné... »
19 heures 30 : pour la seconde fois, le D.C.3 sollicite l'autorisation de retourner au Maroc.
Alger : « Négatif pour le Maroc. Venez vous poser à Alger. Vous êtes couvert par le ministre. »
Le D.C.3: « Et nos familles qui sont au Maroc ? »
Alger: « Nous nous en occupons immédiatement. Nous les mettrons en lieu sûr. »
Le D. C.3 : « Et si les rebelles sont armés ? »
Alger : « Assurez-vous-en ! »
Cependant que les cinq roulent vers Alger menottes aux mains, dans une voiture cellulaire escortés de tanks et de motards, la nouvelle court sur les ondes et les fils du téléphone. A Tunis, Mohammed V est l'un des premiers avertis. Furieux à la fois et désespéré, il appelle aussitôt, à l'Elysée, René Coty. Sa voix tremble de colère :
Les Algériens étaient placés sous ma protection... Mon hospitalité a été violée... Vous connaissez l'âme musulmane... C'est une question d'honneur... Je suis prêt à donner mes fils en otages...
A la même heure, le président Guy Mollet préside au Cercle interallié le dîner d'adieu offert au général américain Gruenther. Alain Savary et Louis Joxe, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, qui venaient d'apprendre que l'avion avait atterri, se rendent aussitôt auprès du président du Conseil. Guy Mollet, prévenu, quitte alors sa table.
Selon Alain Savary : l'entretien que nous avons eu, Louis Joxe et moi-même, avec Guy Mollet s'est déroulé sans témoin dans un salon retiré du Cercle interallié.
Il est vrai que Guy Mollet est apparu stupéfait, accablé, furieux même, retenant avec peine le juron qui lui vient sur les lèvres. Mais il se domine, c'est seulement dans le hall du Cercle qu'il éclate en s'adressant à Max Lejeune :
Tu t'expliqueras avec le président de la République !
Le secrétaire d'Etat opine : oui, il s'expliquera avec Coty.
Les deux hommes filent à l'Elysée où Alain Savary, puis Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères les ont précédés. Ils trouvent René Coty en robe de chambre... et d'une humeur massacrante. A l'adresse de Max Lejeune, une phrase glaciale :
Bonsoir, M. le secrétaire d'État !
Accablé, le président ajoute :
Nous sommes déshonorés !
Les autres ministres surgissent. Pour la plupart, ils ne partagent pas le pessimisme de Coty. Même, certains ont l'air ravi. Le président de la République douche leur enthousiasme en s'écriant qu'il faut libérer les prisonniers. Christian Pineau approuve. Bourgès-Maunoury et Max Lejeune, furieux, répondent qu'il n'en est pas question. Rappelé à son impuissance, Coty soupire :
La décision finale appartient à M. le président du Conseil.
Tous se tournent vers Guy Mollet, toujours tendu et pâle. Un long silence. Après quoi, Guy Mollet, se prononce :
Je regrette le détournement de l'avion de Ben Bella. C'est un acte inconsidéré commis sans l'assentiment du gouvernement... Mais je ne crois pas que, dans l'état actuel de l'opinion publique et parlementaire, nous puissions nous permettre de relâcher les prisonniers. Si nous agissions ainsi, le gouvernement serait renversé dès demain. Le mal est fait. Nous ne pouvons revenir en arrière.Le silence encore. Alors, le ministre Alain Savary annonce qu'il présente sa démission.